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La Distance


L'ouvrage de Michel Bernard paru au premier trimestre 1999 propose, dans une perspective théorique plus ancrée dans les Sciences de l'Education, d'orienter la réflexion sur la mise à distance en formation en abordant la notion de distance dans toute sa complexité, en repensant la formation en référence à cette distance et en laissant la technique à sa juste place. Son propos s'appuie sur quatre confusions qu'il dénonce et explicite :

Notre compte-rendu reprendra les grandes lignes du travail de Michel Bernard en revenant sur la notion de distance, sur le couple distance-formation puis sur le couple formation-technologie où la médiation est fondamentale : nous finirons sur les propositions de l'auteur sur la conception, la mise en œuvre et le pilotage de dispositifs de formation intégrant la mise à distance.

  1. La distance : une notion plurielle
    La distance géographique, spatiale, historiquement à la base de l'enseignement à distance, est, bien entendu, un aspect à conserver dans la définition de la distance en formation, mais n'est plus la seule dimension à prendre en considération :
    "Les formes de la distance sont plurielles et concernent les temps, les lieux, les choses et les êtres : les autres et soi. Elles sont plus ou moins mesurables, voire pas du tout, et les significations oscillent entre des valeurs positives et des pertes, des manques, des états de dissociation, de déliance" (Bernard, 1999, p. 20)
    Distance temporelle donc car l'apprenant choisit son moment pour travailler et suit son propre rythme d'apprentissage ; temporelle également car la distance impose une gestion précise du temps de réponse entre l'apprenant et son institution. La distance est aussi relationnelle car elle induit des relations pédagogiques et des relations entre pairs qui sont différentes. La distance est linguistique et culturelle, a fortiori quand il s'agit de formation en langue étrangère, car on trouve des "différences au niveau du langage intérieur, qui engendrent des difficultés de conceptualisation, différences quant aux exigences attendues par les institutions de la part des étudiants, différences au niveau des compétences demandées et des cultures d'apprentissage" (de Pembroke, Gavelle, 1999, p 112).
    La distance est enfin cognitive parce que le vécu d'apprentissage des apprenants conditionne en partie les stratégies d'apprentissage qu'ils mettent en œuvre et technologique parce que tous ne disposent pas du matériel dernier cri et n'ont pas la même maîtrise de la technologie.
    Michel Bernard (1999, p 21) propose de synthétiser ces multiples facettes de la distance en une définition à deux axes :
    un premier axe qu'il appelle axe des situations : la distance peut être imposée par des contraintes extérieures donc à surmonter, mais elle peut aussi être choisie, elle prendra alors une valeur positive ;
    un second axe, dit axe des significations : la distance prendra une valeur différente selon les situations et l'on oscillera entre une distance qui prendra le sens de "séparation" (quand on se met à distance pour mieux comprendre par exemple) ou bien un sens de "réparation" (quand la distance permet de remédier à un handicap quelconque ayant pénalisé l'apprenant dans son parcours d'apprentissage par exemple).
  2. La distance comme fondement de la formation
    ... Et non comme finalité de la formation. Il ne s'agit plus d'opposer, pour M. Bernard, "présentiel" et "à distance", car "il y a de la distance en présentiel et du présentiel accompagnant la distance" (1999, p 52). Il ne s'agit plus donc de "vaincre la distance" mais de l'assumer. Il s'agit de prendre en considération la distance dans ses dimensions diverses, de recourir aux TIC en fonction des demandes, des besoins, des enjeux, des contextes, qui peuvent évoluer au cours du temps. Mettre à distance en formation, c'est donc combiner toutes ces pluralités (pluralité de la distance, du public, des demandes, des actions, etc.) et aboutir à des approches hybrides et évolutives entre le "tout à distance" et le "tout en présentiel".
  3. Technologies et formation : valoriser et amplifier la présence[2]
    Jusque-là utilisées pour remédier à la distance spatiale, les TIC, dans ces approches hybrides des rapports formation-distance, offrent des possibilités de traiter les situations de distance et donc de mieux se consacrer aux significations de la distance. Ces TIC ne sont pourtant pas des vecteurs neutres : la rapidité de la transmission par exemple induit de nouvelles postures face à ce qui est transmis ; par ailleurs, elles ne garantissent en rien un traitement en profondeur des inégalités face à un accès généralisé aux connaissances si certaines conditions ne sont pas réunies (cf. Linard, 1996, p 252).
    Pas de primauté des tuyaux sur les contenus et les usages (d'autres l'ont dit avant M. Bernard) mais une intégration pensée des TIC dans les dispositifs. Les dimensions sociales et psychologiques de la formation sont "prises en charge" par une médiation humaine, c'est-à-dire la présence d'un tiers, d'un médiateur qui favorise la mise en relation de l'apprenant et l'objet de la connaissance.
    Mettre à distance en ayant recours à la technologie, ce que l'on peut appeler la médiatisation, permet de valoriser et d'amplifier la présence par la médiation humaine qui prendra, comme la distance, des formes diverses : accompagnement, guidage, tutorat, ressources.
  4. Flexibilité et ouverture : des dispositifs polymorphes
    C'est dans les dispositifs que va se concrétiser la distance en formation. M. Bernard propose, à partir des travaux de Jacques Ardoino et de Marcel Lesne, un modèle d'intelligibilité des dispositifs intégrant la mise à distance. Toujours en référence aux notions de distance et de formation telles qu'il les a définies, il avance trois types de dispositifs : le type transmissif où l'individu est vu comme un agent ; le type programmatif (à orientation collective et/ou individuelle) où l'individu est acteur ; enfin le type productif où l'individu est reconnu comme auteur. Pour ces trois types, il retient neuf caractéristiques principales : la conception, le rapport offre-demande, le rapport aux savoirs, le rapport à la distance, le rapport à la technologie, le rapport à l'action, le dispositif, les effets socio-économiques attendus et l'évaluation. Ainsi pour le type transmissif, le rapport offre-demande sera conçu sur le mode externe : l'offre est imposée à la demande, de même le dispositif sera à pilotage externe et la distance sera perçue comme un obstacle. Pour le type productif, l'offre résulte de la demande, les effets socio-économiques attendus seront l'acquisition de compétences professionnelles, sociales et culturelles ouvertes mais aussi de qualités d'être et la distance est traitée dans ses multiples facettes.
    Ces trois types correspondent à des tendances en formation. Il est donc nécessaire de contextualiser ces dispositifs car "le dispositif exprime aussi une micro-culture plus ou moins spécifique" (Bernard, 1999, p 131) selon l'institution dont il émane, notamment.
  5. Pour terminer
    Michel Bernard signe un ouvrage dont le titre Penser la mise à distance en formation dit le contenu, chose assez peu commune pour le souligner ! Le lecteur ne trouvera donc pas ici d'études de cas de dispositifs de mise à distance ou de témoignages d'apprenants. Penser la mise à distance en formation est traversé de nombreuses références théoriques issues des Sciences de l'Education mais aussi de la philosophie, de l'anthropologie, de la sociologie : le lecteur y retrouvera Sénèque et Gaston Bachelard, Monique Linard et Joffre Dumazedier ou encore Philippe Carré et Henri Dieuzeide, et ceci sans être trop désarçonné car les multiples références nourrissent systématiquement des définitions complexes mais contextualisées des termes et notions qui font la mise à distance en formation (certains implicites demeurent cependant). On pourra regretter la mise en forme du propos qui n'évite pas les redondances et qui tient davantage de la réflexion à haute voix ou des notes de cours que de l'écrit universitaire. Mais de nombreux schémas, une bibliographie commentée (brièvement) et classée en cinq catégories (Communication, Distance, Formation, Ouvrages de référence, Technologie) et un glossaire organisé autour de huit notions (une fiche synthétique par notion) aident à la lecture de cette réflexion sur les changements pédagogiques, organisationnels, institutionnels et culturels induits par la mise à distance.

Sites Internet

CIEP (nd). Sélection bibliographique. Consulté en novembre 2000 : http://www.ciep.fr/ puis rechercher "EAD ou "enseignement à distance"

Distance et formation (2000). Site sur la mise à distance en éducation de l'Université Paris II. Consulté en novembre 2000 : http://www.u-paris2.fr/distance_formation/textes.htm.


Notes

[1] La distinction est à faire entre transmission de savoirs aux apprenants (enseignement) et création des conditions et de démarches pour la construction, l'appropriation, l'utilisation et la création de connaissances (formation).

[2] Cette formule fait écho au titre de G. Jacquinot (1993, p 55) : "Apprivoiser la distance et supprimer l'absence ? ou les défis de la formation à distance".

[3] Pour des exemples de dispositifs de formation à distance, la bibliographie donnée par Michel Bernard pourra être complétée par une sélection bibliographique du CIEP : Enseignement à distance, regards français (CIEP, nd).

[4] Le texte est également disponible sur le site (Distance et formation, 2000).