Le cas ivoirien de démocratisation structurelle

Le concept de paix est présent chez tous les peuples, de l’Afrique en Asie et en Occident ; dans des cultures variées, poli dans des définitions qui en donnent sa primauté dans un processus de développement à la fois individuel, environnemental et social. Or, paradoxalement, il ne peut exister de paix sans conflit. D’ailleurs, les théories marxistes parlent du conflit comme étant consubstantiel à toute société humaine. On tient là l’idée d’une permanence du conflit, le type intriguant étant celui qui est manifeste ou éclaté et socialement dévastateur, autrement, appelé «guerre», au-delà de ses manifestations individuelles ou psychosomatiques, interpersonnelles et environnementales. Du coup, la paix recherchée devra s’inscrire dans cette permanence (Sylla L : 2007, 30).

Qualité d’une situation d’équilibre, de consensus, d’harmonie, d’absence de conflits de tout genre, en un mot, de guerre, selon les propres termes de Lanciné Sylla (2007, 24), la paix est une denrée recherchée à la suite d’un état de chao généralisé consécutif à une anomie sociale (Durkheim E. : 1997, 264). Cependant, elle ne saurait s’interpréter comme une simple absence de conflit sans qu’il n’y ait, d’un point de vue sociologique, de corrélations à la fois, politique, économique, environnementale et socioculturelle.

D’emblée, le cas politique ivoirien, depuis la fin de l’État paternaliste de Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire, mort en 1993, les conflits ou crises politiques, dans un élan d’effets boomerang, sont consécutives à la conjoncture des marchés nationaux et internationaux. L’ouverture au multipartisme qualitatif (Tanoh B : 2019, 7) est alors altérée par le glissement de la démocratie universelle vers des regroupements ethniques radicalisant les postures politiques de chaque nouveau parti entre 1993 et 2020, avec son lot de hauts et de bas. Ce qui est en cause dans ce laps de temps, c’est l’alternance à l’exercice du pouvoir d’État. Cette alternance n’est pas encore acquise en Côte d’Ivoire. Elle est, au contraire, source de paix mitigée, d’une part, de conflit éclaté, d’autre part. Et pourtant, l’idée, voire, la concrétude du multipartisme politique devrait conduire à l’acceptation d’une alternance politique pacifique. Le cas ivoirien semble donc inquiéter au niveau mondial. Et, de plus en plus, les communautés locales ivoiriennes sont sollicitées pour apporter leurs modèles contributifs de cohésion sociale et de principes de règlement de conflits depuis les milieux urbains aux milieux ruraux, les derniers cités étant indissolubles de la gouvernance communautaire ou ethnique.

Quoique plusieurs faiseurs de paix soient identifiés à travers Martin Luther King Junior et le Mahatma Gandhi, cité par Marshall B. Rosenberg, 2009, les rois et chefs traditionnels en Côte d’Ivoire ont une expertise conférée par la tradition en matière, non seulement, de conquête guerrière de territoires, dans l’Afrique précoloniale, mais aussi de promotion de la paix et de maintien de la cohésion sociale au niveau local. Ils constituent l’avant-garde du processus démocratique par des instruments traditionnels, dont les alliances ethniques et matrimoniales, la palabre, la négociation, la médiation, etc.

Malheureusement, aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, les rois et chefs traditionnels sont inféodés au pouvoir d’état qui en font un instrument politique, les détournant ainsi de leur devoir, mais encore, de leur vocation de garant de la tradition locale.

Dr. Barthélemy TANOH
Sociologue et Anthropologue
Chambre Nationale des Rois et Chefs Traditionnels
Côte d’Ivoire

BIBLIOGRAPHIE

• Boudon (R) et al, 1993, Dictionnaire de la sociologie, Références LAROUSSE, Sciences de l’homme, Paris ;
• Durkheim (E), 1930, 1997, 1re et 2e édition, Le suicide, PUF, Paris ;
• Durkheim (E), 1930, 1994, 1re et 2e édition, De la division du travail, PUF, Paris ;
• Rosenberg M. B., 2009, Parler de paix dans un monde de conflit, Edition Jouvence, Paris ;
• Sylla (L), 2007, Anthropologie de la paix : de la contribution de l’Afrique à la culture de la paix, Éditions du CERAP, Abidjan ;
• Tanoh (B), 2015, Représentations et comportements des jeunes en manque d’emploi face aux modes de recrutement sur le marché de l’emploi ivoirien. Analyse par champs interposés BICICI et Campus de Cocody, Thèse de doctorat, Éditions Edilivre Aparis, Paris ;
• Tanoh (B), 2019, Pour un développement durable en Côte d’Ivoire : éléments d’analyse sociologique, Éditions l’Harmattan, Paris.

(1) Les accords de paix de 2002 à 2005.

(2) Coup d’État de 1999 et la tentative de coup d’État en 2002 ; guerre de 2010 ; conflits interethniques et politiques intermittents depuis 1998 à 2020.